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Sécurité des soins Accident de travail Gestion des sinistres / réclamations
Publié le 4 décembre 2020 Modifié le 6 juin 2023
Auteurs
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    Catherine Stephan-Berthier
    Juriste direction juridique
Temps de lecture : 4 minutes

La mauvaise tenue du dossier médical induit une présomption de faute

La constatation à la naissance de la survenue de souffrances fœtales n’est pas nécessairement d’origine fautive. Lors de l’expertise, le dossier médical est un élément fondamental sur lequel l’expert s’appuie afin de déterminer d’éventuelles responsabilités. C’est pourquoi, il ne sera jamais trop rappelé que si le dossier médical est avant tout et sans conteste un outil de soins, il est également au cœur d’enjeux juridiques importants.

Les faits

A presque 40 semaines d’aménorrhée, après une grossesse sans incident, Madame L bénéficie d’un déclenchement de son accouchement. L’obstétricien décide la pose de cuillers de forceps de Suzor et entreprend une rotation de la tête fœtale. Il retire les cuillers 54 minutes plus tard pour réaliser une autre prise. Le cordon ombilical tombe entre la tête de l’enfant et le bassin de la mère et se trouve comprimé. Une césarienne est réalisée 20 minutes plus tard.

Depuis 1997, année de sa naissance, l’enfant est atteint d’une infirmité motrice cérébrale irréversible (DFP 95%).

La famille de l’enfant a saisi le Tribunal administratif afin d’obtenir la mise en place d’opérations d’expertise.

Le rapport d’expertise

Il ressort du rapport d’expertise que :

  1. « Les contradictions du dossier ne peuvent qu’engendrer des hypothèses mais non des certitudes. »(…)
  2. « la tenue très succincte du dossier (absence de compte rendu détaillé des constatations et des gestes pratiqués), les modifications a postériori (Blanco sur certaines parties du partogramme) obligent à imaginer ce qui a pu se passer. »
  3. « La mauvaise tenue du dossier, avec des ratures, des corrections plus ou moins lisibles, et des zones effacées ne permet pas d’affirmer, comme il a été dit, si le forceps a été posé sur une tête engagée, ce qui serait une faute sur le plan médical. Le dossier ne mentionne pas non plus pourquoi le Docteur C a jugé nécessaire de faire une deuxième prise, ce qui est inhabituel si la présentation de la tête fœtale était en OIGP(Oblique Illiaque Gauche Postérieur) comme le laisse supposer le dessin du partogramme, présentation plus difficile à gérer et pouvant faire indiquer d’emblée une césarienne. Il n’est pas mentionné, enfin, pourquoi le Docteur C, n’a pas poursuivi son forceps pour extraire rapidement l’enfant si la tête était vraiment engagée, puisque le bassin était réputé vaste, et s’est orienté vers une césarienne, retardant l’extraction fœtale. »

Le jugement du tribunal

Saisi dans le cadre d’une procédure au fond, le tribunal a retenu la responsabilité de l’établissement en considérant que :

 « Il est vraisemblable que l’obstétricien a recouru de manière illicite au forceps sur présentation non engagée. (…) il ne peut être reproché à l’expert d’être parvenu à cette conclusion par des preuves indirectes, dès lors que la mauvaise tenue du dossier empêche de reconstituer avec certitude le déroulement de l’accouchement. (…) le centre hospitalier n’a fourni au Tribunal aucune explication ni justification médicale des modifications qui ont été apportées au dossier médical. »

Commentaires

Cette décision appelle plusieurs commentaires autour du dossier médical :

Les actions intentées strictement sur la tenue et l’archivage du dossier médical constituent un contentieux à la marge.

Toutefois, il est évident que la réalisation d’une mesure d’expertise est un moment clef dans la défense d’une affaire. L’accédit repose en grande partie sur la qualité du contenu du dossier médical, lequel permet de prendre toute la mesure de la situation médicale et de valider les choix thérapeutiques arrêtés.

C’est notamment en cela que la tenue et l’archivage du dossier médical sont des préoccupations primordiales.

Rappelons que les tribunaux ont clairement indiqué que « en l’absence de dossier médical ou de pièce médicale de nature à justifier les soins prodigués, le juge tient pour établies les allégations du plaignant que l’établissement n’est pas en mesure de réfuter ».

De même, l’article L1142-12 du CSP dispose qu’en cas de carence des parties dans la transmission des documents demandés, la CRCI peut tirer toute conséquence du « défaut de communication des documents« .

En outre, rappelons que le dossier médical est composé par :

  • les informations formalisées recueillies lors des consultations externes dispensées dans l’établissement, lors de l’accueil au service des urgences ou lors de l’admission, enfin au cours du séjour hospitalier.
  • les informations établies à la fin du séjour.
  • les informations recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers (à noter que ces informations ne sont pas communicables si le patient souhaite prendre connaissance de son dossier médical).

Par ailleurs, une fiche spécifique de recueil des choix du patient peut également figurer dans le dossier médical.

Enfin, il faut savoir que le dossier doit être conservé dans l’établissement pendant un délai de 20 ans à compter du dernier passage dans l’établissement (au minimum jusqu’aux 28 ans du patient lorsque ce dernier est mineur).

En savoir plus

Si vous désirez en savoir plus sur le management des risques de la santé en établissement de santé, et en particulier sur les problématiques liés à une mauvaise tenue du dossier médical menant à une présomption de faute, ces contenus peuvent vous intéresser :

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