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Sécurité des soins Relations patient
Publié le 2 juillet 2021 Modifié le 6 juin 2023
Temps de lecture : 7 minutes

Le dossier patient, mode de preuve

Lorsque le patient s’en remet à la justice, on retrouve le dossier au coeur de l’expertise judiciaire. Missionné par le juge pour l’éclairer sur les aspects techniques du litige (notamment sur le caractère fautif ou non de la prise en charge), l’expert ne peut baser son appréciation que sur « ce qu’il reste », à savoir, le dossier patient.

Le dossier patient dans le milieu juridique

Il en est de même dans le cadre des procédures de règlement amiable en Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui, elles aussi, reposent sur les conclusions de l’expert.

C’est pourquoi, l’enjeu de la traçabilité se résume très simplement au regard des contraintes de preuve.

Pour l’expert, et donc pour le juge, ce qui est noté est fait, ce qui n’est pas noté n’est pas fait.

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Ainsi, le dossier d’un patient doit porter la trace de tous les actes prodigués quand bien même ils apparaîtraient parfois insignifiants, la seule parole du soignant n’étant le cas échéant pas admise comme mode de preuve. Il doit également refléter la démarche de réflexion et d’élaboration qui a conduit à une prise en charge.

Les notes personnelles du dossier patient doivent également bien être renseignées, afin de parer à toute éventualité. Il est toutefois utile de se renseigner sur les accès de l’ayant droit au dossier médical afin de vérifier si toutes les informations du dossier patient sont accessibles.

Une traçabilité exhaustive des consignes de prévention

À l’occasion de certaines prises en charge, des consignes de prévention, voire des contre indications médicales, peuvent être mentionnées par le médecin pour éviter certaines complications ou réduire les risques.

  • Exemple : préconisation de l’arrêt du tabac dans le cadre d’un suivi de grossesse, suite au diagnostic d’une pathologie ou en amont d’une intervention chirurgicale.
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Si ces préconisations ne sont pas suivies par le patient malgré les mises en garde du médecin et qu’une complication survient en lien direct avec le non-respect de la consigne médicale, la négligence du patient pourra être retenue pour exonérer, ne serait-ce que partiellement, la responsabilité du médecin.

Mais, attention, aucune négligence ne pourra être démontrée à l’encontre d’un patient qui prétend ne pas avoir été clairement informé des risques encourus. C’est pourquoi, il est essentiel de tracer au sein du dossier patient les consignes de prévention qui ont été portées à sa connaissance ainsi que les risques découlant d’un non-respect de ces consignes. Une attestation d’information signée par le patient peut s’avérer souhaitable, d’une part pour le responsabiliser et, d’autre part pour démontrer, le cas échéant, qu’il avait connaissance des risques encourus en cas de non-respect des consignes de prévention.

Une traçabilité exhaustive du suivi du patient

Pour être en mesure de démontrer la régularité du suivi du patient, chaque professionnel de santé doit tracer, au sein du dossier, son intervention. La surveillance tant médicale que paramédicale est essentielle.

Chaque contrôle doit être tracé, y compris, et surtout, lorsque les résultats obtenus sont normaux.

En effet, en cas d’aggravation subite de l’état de santé du patient, l’expert recherchera dans les heures et les jours précédents si des signes d’alertes ont été négligés. Pour sa défense, l’établissement ou le professionnel de santé devra démontrer que la surveillance a été réalisée de manière rigoureuse et régulière et surtout que rien ne justifiait une intervention plus précoce. Ainsi, chaque acte de surveillance doit nécessairement être noté dans le dossier, le cas échéant, par un simple « RAS » suivi d’une signature, d’une date et d’un horaire.

  • Le passage du chirurgien dans la chambre du patient en postopératoire n’est pas un acte anodin. Il doit être mentionné quand bien même il se résumerait à un bref échange avec le malade sans prescription ni consignes particulières.

À noter également, l’importance de mentionner, au sein du dossier, les comptes rendus de staff et les avis des confrères quand bien même l’intervention de ces derniers serait non formalisée. L’ensemble de ces démarches tend à prouver la qualité des soins ainsi que leur caractère consciencieux et attentif et rappelle le rôle premier du dossier patient, outil de soins.

La nécessaire traçabilité vue par le juge

« En l’absence dans le dossier, par la faute [du médecin], d’éléments relatifs à l’état de santé et à la prise en charge de [l’enfant], entre le moment de sa naissance, où une hémorragie cérébrale a été constatée, et celui de son hospitalisation, il appartenait au médecin d’apporter la preuve des circonstances en vertu desquelles cette hospitalisation n’avait pas été plus précoce, un retard injustifié étant de nature à engager sa responsabilité. »

Une traçabilité exhaustive des traitements prescrits et administrés

La prescription et l’administration des traitements médicamenteux doivent également être tracées de manière exhaustive.

Attention aux protocoles de prophylaxie (antibiotiques, anticoagulants…) pour lesquels la traçabilité est parfois négligée. Il arrive, dans le cadre d’un contentieux, qu’on se trouve dans l’incapacité de prouver que l’antibioprophylaxie a été conforme au protocole du CLIN, faute de toute mention dans le dossier patient. Tout comme les traitements ordinaires, la mise en oeuvre des protocoles de prophylaxie doit être tracée au sein du dossier, de la prescription à l’administration.

Sauf circonstances particulières, cette traçabilité, pour être fiable, doit être réalisée en temps réel. Effectuée a posteriori, elle risque d’être remise en cause.

L’identification des différents intervenants

Lorsqu’un professionnel de santé mentionne son intervention auprès du patient, il est essentiel qu’il s’identifie distinctement et qu’il horodate son acte.

Il s’agit d’une obligation réglementaire imposée par l’article R. 1112-3 du CSP :

  • « …Chaque pièce du dossier est datée et comporte l’identité du patient avec son nom, son prénom, sa date de naissance ou son numéro d’identification, ainsi que l’identité du professionnel de santé qui a recueilli ou produit les informations. Les prescriptions médicales sont datées avec indication de l’heure et signées. Le nom du médecin signataire est mentionné en caractères lisibles.»

Lorsque l’intervenant est un interne, bien qu’il exerce ses fonctions par délégation et sous la responsabilité d’un senior, l’obligation de traçabilité s’impose de la même manière. Il doit donc s’identifier et tracer son intervention étant précisé que la validation par le médecin senior doit également être formalisée par ce dernier lorsqu’elle a lieu.

La traçabilité de l’évaluation des risques spécifiques au patient

En application de l’article L. 1110-5 du CSP, tout patient a « compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés… ».

traçabilité du dossier patient

En cas d’incident dommageable survenu dans le cadre d’une prise en charge, l’expert, missionné par le juge saisi du litige, a pour mission première de rechercher l’existence éventuelle de manquements ou négligences, lesquels sont caractérisés dès lors que l’instruction révèle l’absence de prise en compte de risques spécifiques, soit parce qu’ils n’ont pas été identifiés, soit parce qu’ils l’ont été sans avoir été accompagnés de mesures préventives adaptées.

À titre d’exemple, certains patients, notamment en psychiatrie ou gériatrie, peuvent présenter des risques de chute, de fugue, de suicide ou d’agression qui nécessitent des mesures de surveillance adaptées et proportionnées. L’identification et l’évaluation de ces risques s’appuient sur les antécédents connus des patients ainsi que sur l’évolution de leur état de santé.

Pour conclure

En cas d’incident, l’obligation de surveillance n’étant que « de moyens » et en aucun cas « de résultat », l’établissement ou le professionnel de santé a la possibilité de se défendre et, par là même, de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que le risque était correctement évalué, d’une part, et que des mesures de surveillance adaptées avaient été mises en oeuvre pour en prévenir la survenance, d’autre part. Mais, faute de traçabilité permettant cette démonstration, le défaut de surveillance risque fort d’être retenu par le juge comme étant à l’origine de l’incident et, ainsi, source de responsabilité tant civile que pénale.

Le même raisonnement peut être appliqué au risque d’escarres ou au risque infectieux.

Dans tous ces cas, il importe de montrer au juge que le risque a été évalué et qu’il a été pris en compte par des mesures adaptées.

En savoir plus

La thématique du dossier médical vous intéresse ou vous concerne ? Il est souvent pertinent de rappeler la dualité de la fonction du dossier patient : utilisé avant et pour tout pour offrir une prise en charge de la meilleure qualité possible au patient, c’est également un outil de droit et un mode de preuve essentiel en cas de contentieux :

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