Retour au blog
Sécurité des soins Relations patient
Publié le 2 juillet 2021 Modifié le 7 novembre 2023
Auteurs
  • VHMN – user icon
    Les experts Relyens
Temps de lecture : 10 minutes

Obligation d’information de la femme enceinte

Les juristes Relyens se sont penchés sur une question importante dans le domaine de l’obstétrique : celle de l’obligation d’information de la femme enceinte dans le cadre d’une grossesse.

La femme enceinte, comme toute personne prise en charge par un professionnel ou un établissement de santé a droit au bénéfice des dispositions de l’article L1111-2 du Code de la santé publique (CSP), lesquelles précisent les contours du droit des patients à être informés.

Les professionnels tenus à l’obligation d’informer

La loi fait ainsi peser un devoir d’information sur tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles.

À ce titre, la Cour de cassation a pu préciser non seulement que l’obligation d’information pèse tant sur le médecin qui prescrit les soins que sur celui qui les réalise ; mais également que chaque médecin est tenu, même en cas de pluralité d’intervenants, d’une obligation d’information personnelle.

Dans une décision du 13 novembre 2019 (N° 420299), le Conseil d’État a précisément considéré que « lorsqu’un praticien d’un centre hospitalier reçoit en consultation une femme enceinte ayant auparavant été suivie dans un autre cadre (tels qu’une maison de naissance par exemple), il lui appartient de vérifier que l’intéressée a, antérieurement, effectivement reçu l’information prévue à l’article L. 2131-1 du code de la santé publique [information sur le diagnostic anténatal] et, à défaut, de lui donner cette information, y compris jusqu’aux derniers moments de la grossesse. ». Il incombe dès lors à chacun des professionnels participant à la prise en charge de s’assurer de la parfaite information de la femme enceinte et le cas échéant de la délivrer lui-même.

Référence

(1) Art. L1111-2 du CSP : Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves, normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Les exceptions à l’obligation d’informer

Les seuls cas pour lesquels le médecin est dispensé de son obligation d’information sont : l’urgence, l’impossibilité d’informer et la volonté du patient d’être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic prénatal ou d’un pronostic, sauf risques de transmission.

Le contenu de l’obligation d’information

Les dispositions de l’article L1111-2 du CSP précisent que l’information doit porter sur « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves, normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ».

pictogramme information de la femme enceinte 2

Dans ses recommandations professionnelles d’avril 2005, « Comment mieux informer les femmes enceintes ? » (2), la HAS insiste sur l’information qui peut être délivrée dès le début de la grossesse (bénéfices d’un suivi régulier, proposition d’un programme de suivi, prévention et éducation, risques de l’automédication, identification des situations de vulnérabilité, risques en lien avec le mode de vie et la situation psychosociale de la femme enceinte et/ou du couple, …).

Cette période est aussi l’occasion selon la HAS d’informer clairement la femme enceinte de son droit d’accepter ou de refuser un examen de dépistage, après lui avoir expliqué, avant sa réalisation, l’utilité, les bénéfices escomptés et les éventuels inconvénients et conséquences de cet examen.

Le contenu de l’information évolue ensuite tout au long de la grossesse, et doit être complété au cas par cas, en fonction des nouveaux risques identifiés pour la mère et l’enfant et des actions de dépistage ou de traitement envisagées.

Les recommandations HAS les plus récentes (3) invitent en outre les professionnels à encourager les femmes à préparer un projet de naissance et à les informer sur :

  • « L’organisation de la maternité (notamment pendant le service de garde) et des limites que l’organisation impose quant au libre choix d’un praticien ou à la disponibilité de certains moyens et techniques » ;
  • « Toute intervention médicale pouvant être proposée et réalisée à l’accueil de la parturiente au cours du travail et de l’accouchement. Toute intervention ou pratique de soins non-urgente doit faire l’objet d’un consentement oral libre et éclairé » ;
  • « Les indications, les possibilités, les limites, les risques éventuels et les contre-indications des différentes interventions non médicamenteuses (acupuncture, immersion, etc.), médicamenteuses (anesthésie loco-régionale, administration d’oxytocine, etc.) et techniques (auscultation intermittente, amniotomie, épisiotomie, etc.) utilisables au cours du travail et de l’accouchement, et notamment pour diminuer la douleur. Elles seront clairement exposées et discutées, afin d’aider les femmes à faire un choix éclairé ».

Dans tous les cas, la HAS recommande :

  • Consacrer du temps à l’information de la femme enceinte ou du couple.
  • Apporter une écoute attentive pour mieux prendre en compte les attentes de la femme enceinte ou du couple, leur permettre de poser des questions et d’aborder les problèmes rencontrés.
  • Délivrer une information orale fondée sur les données scientifiques actuelles, la réglementation et les droits liés à la maternité ; la compléter, si possible, avec des documents écrits fiables.
  • Utiliser un langage et/ou un support adaptés, en particulier avec les personnes ayant un handicap sensoriel ou mental ou avec celles qui ne parlent ni ne lisent le français.
  • Proposer, si nécessaire, une consultation supplémentaire (notamment en début de grossesse), si le volume et/ou la nature de l’information à donner le requièrent.
  • Fournir des informations écrites (à défaut, indiquer où en trouver), notamment sur la surveillance médicale de la grossesse, la prévention des risques et l’offre de soins locale.
  • Assurer la continuité des soins par le partage des informations entre les différents professionnels concernés et la femme ou le couple.

Outre ces éléments, l’information doit également porter sur les risques susceptibles d’avoir une incidence sur la décision de la femme qu’il s’agisse par exemple de la poursuite d’un traitement médical, de la possibilité d’une manoeuvre ou de tout autre acte médical susceptible d’intervenir durant la grossesse ou l’accouchement.

L’information sur les risques de iatrogénie médicamenteuse

 

Une attention particulière doit être donnée à l’information de la femme enceinte sur les risques induits pour elle, mais également pour l’enfant, par les traitements prescrits ou poursuivis pendant la grossesse.

Dès lors qu’un risque est connu, une alternative doit être recherchée et une réflexion partagée avec la femme, doit nécessairement être menée quant à l’intérêt ou non de poursuivre le traitement, ou le cas échéant quant à l’opportunité de poursuivre la grossesse.

En ce sens, et dans les suites de l’affaire dite de la Dépakine®, des recommandations spécifiques ont été conjointement élaborées par la HAS et l’ANSM (4) s’agissant de la prescription de Valproate de Sodium chez la femme en âge de procréer, dans le cadre du traitement de l’épilepsie ou des troubles bipolaires (5) .

L’information sur les risques liés à l’accouchement par voie basse

Si en pratique, l’information doit être axée sur les risques de nature à avoir une influence sur la décision du patient d’accepter ou de refuser des investigations ou des soins, la question peut appeler une réflexion spécifique s’agissant de l’information à délivrer à la femme enceinte quant au risques de l’accouchement par voie basse. Un long débat a en effet pu animer la doctrine sur les modalités d’application de l’obligation d’information concernant l’accouchement par voie basse qui est a priori considéré comme un « événement naturel » et non comme un acte médical, au contraire de l’accouchement dystocique ou de la redoutée césarienne en urgence.

Aussi, la jurisprudence a été amenée ici à apprécier l’obligation d’information au regard du caractère pathologique ou non de la grossesse.

pictogramme information de la femme enceinte 1

Dès lors, il est généralement admis par la jurisprudence que la prise en charge d’une patiente en vue d’un accouchement non pathologique par les voies naturelles n’est pas, en tant que telle, au nombre des investigations, traitements ou actions de prévention pour lesquels les praticiens sont soumis à l’obligation d’information de l’article L1111-2 du CSP (6). Dans ce cadre, il s’agit bien de considérer l’accouchement comme un événement naturel non contrarié par une quelconque pathologie diagnostiquée en cours de grossesse et susceptible d’influencer le choix du mode d’accouchement.

A contrario, dès lors que la patiente (ou le foetus) présente une pathologie ou des antécédents médicaux l’exposant à un risque particulier en cas d’accouchement par voie basse, le médecin doit l’informer des risques de ce type d’accouchement au regard de la situation propre de la femme enceinte, ainsi que des moyens de les prévenir, en décidant, le cas échéant, de réaliser une césarienne (7).

Notons que si l’obligation d’information du médecin à la femme enceinte était déjà ponctuellement exigée pour les accouchements par césarienne ; ainsi que pour certains accouchements par voie basse, spécifiquement en cas de présentation par le siège (8) ou d’utérus cicatriciel (9), cette obligation est désormais largement entendue par les magistrats.

En effet, le Conseil d’État (10) et la Cour de cassation (11) considèrent désormais de manière plus générale que « la circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu’en particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention ».

L’indemnisation du défaut d’information

Le Conseil d’État comme la Cour de cassation considèrent que le défaut d’information peut ouvrir droit à la réparation de deux types de préjudices distincts : la perte de chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé, et le préjudice d’impréparation.

La perte de chance correspond à la fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.

pictogramme information de la femme enceinte

En pratique, le juge recherche si dûment informé le patient aurait renoncé à l’intervention, c’est-à-dire s’il a perdu une chance d’échapper au risque qui s’est réalisé.

Indépendamment de la perte de chance, le défaut d’information ouvre à la victime le droit d’obtenir réparation du préjudice moral résultant du fait qu’elle n’a pas pu se préparer aux risques encourus.

À titre d’exemple, dans sa décision précitée du 23 janvier 2019, la Cour de cassation retient non seulement l’indemnisation de l’ensemble des préjudices corporels résultant de l’absence fautive de recours à la césarienne malgré le diagnostic de macrosomie foetale ; mais également l’indemnisation du préjudice moral d’impréparation subi par la femme enceinte du fait du défaut d’information sur les risques liés à un accouchement par voie basse.

En définitive, que l’acte de soins ou l’accouchement par voie basse soit fautif ou non fautif, en cas de défaut d’information sur les risques qu’il comporte, la patiente est fondée à solliciter l’existence d’un préjudice moral, autonome de celui du préjudice corporel éventuellement subi. (12)

Références

(2) HAS Comment mieux informer les femmes enceintes ?, recommandations pour les professionnels de santé, avril 2005.
(3) HAS Comment mieux informer les femmes enceintes ?, recommandations pour les professionnels de santé, avril 2005.
(4) Recommandation de bonne pratique, Accouchement normal : accompagnement de la physiologie et interventions médicales, décembre 2017
(5) Agence nationale de sécurité du médicament HAS, fiche mémo « Femmes en âge de procréer ayant un trouble bipolaire : spécialités à base de valproate et alternatives médicamenteuses », novembre 2015, maj sept 2018
(6) Voir notamment en ce sens CAA Lyon 19 avril 2012 n° 11LY00850 s’agissant de la survenue d’une embolie amniotique ; CAA Marseille 11 février 2013 n° 11MA00926 et n° 11MA1007 s’agissant d’une dystocie des épaules en dehors de toute prédisposition particulière ; TA Lyon 22 janvier 2013 N010003481 (hématome rétroplacentaire ayant entraîné le décès d’un jumeau in utero ; TA Lyon 9 avril 2013 n° 1102626 (déchirure périnéale).
(7) CE 27 juin 2016 n° 0386165, Cass. civ. 1re 23 janvier 2019 n° 18-10706
(8) Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14564
(9) CE 27 juin 2016 N°386165, TA Limoges 23 février 2012 n° 1000691
(10) CE 27 juin 2016 n° 386165 : utérus cicatriciel avec risque de rupture utérine
(11) Cass. civ. 1re 23 janvier 2019 n° 18-10706 : risques liés à une macrosomie foetale diagnostiquée
(12) Cass. civ. 1re 23 janvier 2019 n° 18-10706 précité

Sur le même sujet

Toutes les publications